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Parabole au bal con (ou de la liberté de la pub)


Tom, mon voisin de palier, découvre les radios corsaires du 3ème type. Tous les soirs dorénavant, son appartement crache un voltage à mi-chemin entre le décollage d’une fusée Ariane et un refrain d’Adèle, qui transperce la cloison en cellulose C6H1005 séparant nos deux clapiers et envahit la boîte que j’appelle mon chez-moi. Comme tout être humain civilisé, je suis passée par toutes les émotions : la surprise, la bienveillance, l’agacement, l’insulte niveau 1, la colère, l’acceptation à court terme, l’insulte niveau 243, les pleurs et enfin la dépression…

Parce qu’avec tout ça, depuis 3 semaines, je ne peux plus regarder la télévision.

Vous ne vous rendez probablement pas compte, tas d’hipsters barbus qui clape du quinoa bio, vous qui méprisez ce média historique au profit de vos tablettes à 800 boules. Vous ne saisissez pas tout le bonheur qu’apporte cet objet magique à tous les travailleurs bureaucratiques comme moi, après une harassante journée de labeur. Terminé l’émerveillement devant mon Patou et son cabaret de l’espace, fini de rire devant les simagrées de mon Cyrilou, adieu les soirées pizza-vibro devant le Mentalist… Je me sens exclue de la société, je ne peux même pas débattre à la cantine avec les collègues de la venue de Manuel 3ème Valls chez Laurent Ruquier.

Mais l’épiphanie survint après la disparition tragique de mon fidèle félin (de rage j’ai éclaté mon chat contre le mur il y a deux jours), où comme Newton, lorsque Lucifer (le matou) se décrocha du mur pour s’éclater la mouille sur le parquet, j’ai crié « Eurêka » : si je ne regarde plus autant la télé, je n’ai plus à payer toute la redevance !

En effet, en bonne citoyenne réglo avec son gouvernement, je me suis dit « celui-ci va bien être réglo avec moi ». Ils vont bien comprendre que dorénavant je ne paierai ma redevance qu’au pro-rata de ce que je regarde sur son écran plat 127cm accroché au mur. Ce ne serait que justice ! Mais bon, ça reste les impôts, alors j’attrape mon Mac (quand même faut pas déconner!) et plonge dans le monde merveilleux de la redevance TV.

Avant tout, à qui vais-je donner dorénavant mon argent ? Combien ça me coûte déjà ? Putain 136 balles sa mère ! Nouvel onglet recherche – « Répartition de la redevance télévisuelle » (recherche déjà effectuée par d’autres internautes). Merci Wiki y a un tableau tout fait :

Donc là, France Télévision de mon Patou récolte 70% de la redevance, Arte France perçoit 8%, Radio France chope 12 (tu m’étonnes, qui ici écoute France Culture ?!), l’INA (Institut National Audiovisuel) touche 3% (ça paiera l’application uber de son président) et l’Audiovisuel extérieur à la France (Was is das ?) ponctionne les 4% restants.

« Donc en gros les 2/3 de mon argent sont donnés à ceux qui diffusent le plus de pub ! »

Fifou pousse ses recherches, les ressources publicitaires représentent environ 25% du budget de France Télévisions et leur rapporte quand même environ 320 millions d’euros. Et pourtant en 2014 les ressources publicitaires de France TV sont risibles à côté de celles des autres chaines. Sans surprise, le bon gros paquebot Bouygues truste à cette époque pas si lointaine, 33% des parts de marché de la publicité diffusée sur nos écrans. France Télévisions voit sa quote-part s’envoler à… 5%.

Sachant que 5% du marché publicitaire télévisuel équivaut à 320 millions d’euros, quand tu te rends compte que la machine soupèse autant d’euros et encore plus de roupies, t’as envie de mettre les mains dans le cambouis pour voir ce qu’il s’y passe. On démonte tout, et on remet dans le bon ordre.

La 1ère publicité dite « de marque » apparaît en 1968. Avant on pouvait voir quelques réclames d’intérêt général pour la sécurité routière, la loterie nationale (oui oui), la caisse d’épargne (oui oui oui) etc… À peine un an plus tard, en 1969 donc, est crée la Régie Française de Publicité (RFP), organe qui gère la publicité sur les chaines de télévision et de radio du service publique français (c’est à dire toutes les chaines de télé et de radio à l’époque). La RFP est détenue majoritairement (51%) par l’ORTF, soit par l’État français.

C’est donc notre bel État qui détenait la gestion du pognon engendré par la publicité et qui en plus pouvait se payer le luxe de choisir quelles publicités allaient être potentiellement vues par des millions de téléspectateurs.

Etant donné le pognon que ça devait déjà engendrer dans le temps, le gouvernement a décrété en 1971 que les ressources publicitaires ne doivent pas excéder 25% des ressources de l’audiovisuel. Miracle, ce chiffre tient encore de nos jours pour France TV !

Tout va bien dans le meilleur des mondes donc pour la RFP qui détient le monopole de la gestion des pubs jusqu’en 1984, date de naissance de Canal +. Et là ça se barre en couilles, pile au début du mandat du 1er président de « gauche » de la Vème. En effet, 1984 est le point de départ d’une petite révolution couplée à la vague de privatisation de nouvelles chaines télé (TF1, M6 et la Cinq de K-2000 et de Berlusconi). Canal + a obtenu lors de la naissance de sa chaine la possibilité de créer sa propre régie publicitaire. Elle gère toute seule comme une grande la vente de ses espaces publicitaires, et touche en intégralité les revenus issus de ces ventes. Évidemment, les petites copines ont bien compris que l’intérêt d’une chaine de TV, c’est de se faire un max de pognon avec la pub et ils créeront tous leur régie publicitaire privée. Le phénomène a tellement d’ampleur que même Antenne 2 et FR3 prendront le même chemin, ce qui aboutira à la dissolution de la RFP en 1993.

Ouraken à l’État qui n’a plus de contrôle sur la diffusion de la pub sur les chaines TV.

Pour tous ceux qui étaient dans le PAF entre 1984 et 1989, c’est l’âge d’or de la télévision. Les nouvelles chaînes se tirent la bourre pour attirer les annonceurs et de la création du Journal du Hard aux interviews d’un Gainsbourg totalement bourré sur les plateaux télé en prime time, tout est bon pour attirer les spotlights dans une liberté créatrice totale.

Pas que con, l’État crée donc en 1989 le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, le fameux CSA, le « garant de la liberté de communication audiovisuelle », faites sonner les trompettes ! Bon, le CSA a plein de missions a priori vertueuses. La protection des mineurs, assurer la pluralité politique et veiller au respect de la dignité humaine en font partie. Mais il jouit aussi d’un droit de sanction sur tous les programmes diffusés sur toutes les chaines de télévision, y compris les pubs, mais seulement APRES leur diffusion. Passe encore qu’il ne censure pas à priori les programmes des chaînes télé, la liberté de la presse bordel ! Par contre, ne pas pouvoir empêcher la diffusion d’images et d’idées de réclame susceptibles de duper leurs chers concitoyens, faut pas déconner.

Re-pas que con, en 1992, l’État crée un système obligatoire d’avis avant diffusion de tous les films publicitaires destinés à la télé dont il confit la gestion à un organe déjà existant mais qui ne servait pas à grand-chose jusqu’ici : le Bureau de Vérification de la Publicité ou BVP.

Alors, le BVP existe effectivement depuis 1953. Il remplace le poussiéreux Organe de Contrôle des Annonces (OCA) qui réunissait publicitaires, professionnels de la presse et éditeurs. Dès sa création, le BVP met en place une codification précise et évolutive des pubs censée servir de référence à toute la profession. Cependant, le BVP ne peut qu’émettre des « recommandations », il n’a pas de pouvoir de censure que lui donne finalement le CSA en 1992. Le BVP avait un 6-coups, il a maintenant les balles pour tirer avec…

Et cette attribution va changer de nouveau le système, qui ce coup-ci va durer plus longtemps, puisqu’il est toujours en vigueur aujourd’hui. Pour mieux comprendre, voici l’historique de l’itinéraire d’un film publicitaire jusqu’à votre temps de cerveau disponible :

Donc, depuis la diffusion de la 1ère publicité à la télévision il y a presque 50 ans (grosse fête d’anniversaire bien classe à venir), l’État a laissé jouer les petits créatifs de la pub pendant 5 ans avant de siffler la fin de la récréation. Et comme ça ne suffisait pas de coller celui qui avait fait une connerie, ils ont carrément mis en place un système permettant d’annihiler toute transgression à son règlement interne (qui est en constante évolution je vous le rappelle). Enfin, au cas où ni le BVP, ni le CSA n’ont été assez prompts à censurer une publicité, n’importe quel crétin qui n’a que ça à foutre dans sa vie de merde peut aller cafter auprès du CSA s’il trouve une pub choquante, malsaine, blasphématoire, sexiste, anti-puritaine, portant atteinte à la dignité sexuelle des loutres du Portugal ou que sais-je encore!

Attention, je ne dis pas que les gentilles petites agences publicitaires sont des victimes innocentes d’une politique digne d’un Kim-Jong Un en rut. Il ne faut pas oublier qu’une bonne grosse partie des publicitaires est composée de connards dont l’activité principale est d’inciter par tous moyens des êtres humains à acheter des merdes inutiles et ce dans le but unique de ramasser toujours plus de caillasse. Non ce qui m’emmerde le plus dans l’histoire, c’est qu’on fasse le choix à ma place et qu’on ne me laisse même pas faire ma propre putain d’opinion.

Au final, imaginez la censure d’un livre, d’un film ou encore d’une chanson : ça crie de partout, les intellectuels-people s’indignent, « on porte atteinte à notre liberté d’expression ! », tatati-tatata… Pourquoi ça ne serait pas la même chose avec la pub ? Parce que si vous croyez qu’il n’y a que des artistes uniquement dévoués à transcender nos esprits dans le monde du cinéma, de la musique ou de la littérature, matez donc « The Human Centipede 3 » ou lisez l’intégrale des bouquins de Marc Lévy et on en reparle…

Qu’on me laisse aimer ou détester une pub tranquille bordel ! Je n’ai absolument jamais désigné qui que ce soit pour juger à ma place ce que je peux ou ne peux pas regarder !

J’ai donc fait une recherche des publicités interdites de diffusion en France par le BVP ou par le CSA. J’en mets quelques une là l’air de rien, sans commentaires et sans ordre volontairement pré-établi, comme ça si quelqu’un a envie un jour de se faire sa propre réflexion…


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